Coutumier et canon ! Le Moyen Âge fait son droit

"Il faut vivre à Rome selon les coutumes romaines", autrement dit, "à Rome, fais comme les Romains", préconisait saint Ambroise au IVe siècle. "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà", disait, bien plus tard, Blaise Pascal au XVIIe siècle. Il y a donc le droit d’ici et le droit d’ailleurs, c’est la richesse et la diversité du droit, qu’il soit romain, coutumier ou canon !

La redécouverte des textes juridiques romains

À la fin du XIe siècle, l’Europe est en pleine mutation : à l’expansion territoriale, démographique et commerciale, s’ajoute la Réforme grégorienne initiée par l’Église. Ce contexte favorise l’exhumation des textes juridiques romains, tombés dans l’oubli, ainsi que la volonté de l’Église de légiférer et de régir davantage la vie des clercs et des fidèles par le droit canonique. Droit romain et droit canonique forment ce que l'on appelle le "droit savant", qui fait l’objet d’une étude et d’un enseignement scientifique. Corinne Leveleux-Teixeira, professeure d’histoire du droit à l’Université d'Orléans, explique le succès du droit romain au XIIe siècle par "l'arrivée d'une ressource gigantesque. Quand on redécouvre les textes de Justinien, on ne se rend pas forcément compte de la masse considérable que ça représente, tout comme le Corpus iuris civilis qui est d'un volume supérieur à la Bible. C'est une révolution : ces textes transmettent un ensemble gigantesque de concepts. C'est une bibliothèque qui renouvelle et reféconde profondément le droit et le transforme de façon irréversible".

L'enseignement du droit savant : apprendre à gloser

L’École de droit de Bologne est une des premières écoles à redécouvrir, étudier et enseigner des textes et des compilations du droit romain comme le Corpus iuris civilis. Les juristes de Bologne inventent une méthode d’analyse de texte : la glose. Celle-ci se diffuse à l’échelle de l’Europe dans les écoles, les universités et les foyers d’enseignement du droit. Au XIVe siècle, l’École d’Orléans rivalise avec Bologne. Elle se démarque par l'invention de nouvelles méthodes d'études des textes juridiques et porte un regard plus critique à l'égard des textes romains et des doctrines produites par Bologne. Marie Bassano, professeure d’histoire du droit et des idées politiques, précise que "Bologne n'est pas le centre de l'univers juridique à cette période, puisque la concurrence s'installe très vite un peu partout en Europe. Des centres d'enseignement du droit commencent à s'établir autour de personnages restés anonymes ; ils sont souvent dans l'entourage du seigneur et ont une activité de conseil, de juristes, de praticiens. Autour d'eux se groupent des étudiants désireux d'apprendre les lois romaines. Une concurrence s'établit entre des centres d'enseignement qui surgissent dans la vallée du Rhône, sur la côte méditerranéenne, jusqu'à Béziers, Montpellier, et à Paris". Les professeurs et les étudiants sont amenés à se déplacer d’une école à l’autre, ce qui contribue à la diffusion du savoir juridique et des méthodes d'analyse de texte à l’échelle de l’Europe occidentale.

L’étude du droit savant se diffuse grandement, pénètre le droit coutumier en vigueur et contribue à la transformation des coutumes. Certains courants historiographiques mettent en avant l’idée d’un ius commune, c’est-à-dire un droit commun à l’Europe. Cependant, un système de concurrence du pluralisme juridique perdure au Moyen Âge, avec l’existence d’une variété de fabricants du droit : les seigneurs, l’Église, les universités…

Pourquoi l’étude des droits romain et canonique s’impose-t-elle au XIIe siècle ? Dans quelle mesure le droit savant, étudié et enseigné dans les écoles et les universités, se diffuse-t-il dans les sociétés européennes du Moyen Âge ? L’étude du droit savant débouche-t-elle sur la création d’un droit commun universel ?

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Pour en parler

Corinne Leveleux-Teixeira est professeure d’histoire du droit à l’Université d’Orléans, directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études et directrice de la revue historique du droit français et étranger.
Elle a notamment publié :

• Gouverner les hommes, gouverner les âmes (Éditions de la Sorbonne, 2016)
• Consulter, délibérer, décider : donner son avis au Moyen-Âge (coécrit avec Martine Charageat, Presses universitaires du Midi, 2010)
• La Parole interdite. Le blasphème dans la France médiévale (XIIe-XVIe siècles). Du péché au crime (De Boccard, 2002)
• Serment et constitution dans la doctrine romano-canonique (Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2001)

Marie Bassano est docteure en droit et professeure d’histoire du droit et des idées politiques à l’Université Toulouse 1 Capitole.
Elle a notamment publié :

• De maître à élève. Enseigner le droit à Orléans (c.1230-c.1320) (Brill, 2022)
• Justement traduire. Les enjeux de la traduction juridique (coécrit avec Wanda Mastror, Presses de l'Université Toulouse 1 Capitole, 2019)

Le Pourquoi du comment : histoire

Toutes les chroniques de Gérard Noiriel sont à écouter ici.

Références sonores

• Extrait de la série Kaamelott d'Alexandre Astier, Alain Kappauf et Jean-Yves Robin, 2005
• Archive sur l'Université de Bologne, France Culture, 4 août 1980
• Archive du président Jacques Chirac au sommet du G8, Journal de 13h, 23 juillet 2000
• Extrait du film Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud, 1986
• Générique de l'émission : Origami de Rone